Ineffable ordinaire 2014
Dessous de plat en formica, bois, vis, clous, pied de table
Nous tenons un rôle social par notre inscription dans le monde du travail ou au sein de la famille. Nous prenons en charge les normes, les conventions que cela implique. Ces règles sociales légitiment une vie ou la précarisent.
On distingue trois formes de précarité. Lorsque les conditions matérielles empêchent toute possibilité d’agir, lorsque que la marginalisation interdit de faire entendre sa voix ou lorsque que le mépris social ne permet pas de reconnaitre la créativité d’un individu ou d’un groupe ainsi stigmatisé. La précarité sous toutes ses formes est aujourd’hui inscrite dans notre quotidien, admise, banalisée. Critiquer cette « normalité sociale », c’est refuser que les codes sociaux confirment ou infirment les existences. La visibilité ou l’invisibilité ne sont pas des qualités naturelles, inhérentes à l’existence humaine.
«La vie ordinaire est comme une série de braconnages à l’intérieur de la forêt des normes. Le quotidien s’invente ainsi dans les détournements que l’homme ordinaire produit lorsqu’il réalise les normes. »*
L’inexprimable charge poétique qui résulte des détournements, la pugnacité à combiner sa vie, à harmoniser sa survie, « fricotent » avec le sublime.
Je suis née dans un paysage de grisaille, de briques et de champs de betteraves, à l’ère du formica, du pyrex et de la toile cirée. Edifier un abri avec des meules de foin, improviser un cerf-volant avec un quotidien, courir sur les marres gelées, trier les patates dans les caves à charbon, aller à la ferme ou ramener les bouteilles à la consigne… : autant d’anachronismes qui sculptent ma survie.
*(Vies ordinaires, vies précaires, Guillaume Le Blanc, Paris, Seuil, 2007) |